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quarta-feira, 11 de maio de 2011

O “De musica libri sex” de Santo Agostinho


O De musica libri sex de Santo Agostinho de Hipona pode ser lido, em francês, italiano e latim, no importante site cujo nome e endereço se veem abaixo da imagem.
Recomendamos também a excelente edição San Agustín, Sobre la música ― seis libros, da Biblioteca Clásica Gredos. Madri: Editorial Gredos, 2007.
Trata-se de leitura obrigatória para os que querem pensar a música também teológica e filosoficamente.  

O Livro VIII da “Política” de Aristóteles

C. N.

Abaixo, em francês, o importante Livro VIII da Política de Aristóteles.* É justamente o livro onde o Estagirita fala da música e de seu papel na educação.
Logo publicaremos, neste blog, também os fecundos textos de Platão sobre a música.


*  *  *
Aristote

Livre VIII
de La Politique

CHAPITRE 1

On ne saurait donc nier que l’éducation des enfants ne doive être un des objets principaux des soins du législateur. Partout où l’éducation a été négligée, l’État en a reçu une atteinte funeste. C’est que les lois doivent toujours être en rapport avec le principe de la constitution, et que les mœurs particulières de chaque cité assurent le maintien de l’État, de même qu’elles en ont seules déterminé la forme première. Des mœurs démocratiques conservent la démocratie ; oligarchiques, elles conservent l’oligarchie ; et plus les mœurs sont pures, plus l’État est affermi.
Toutes les sciences, tous les arts exigent, pour qu’on y réussisse, des notions préalables, des habitudes antérieures. Il en est évidemment de même pour l’exercice de la vertu. Comme l’État tout entier n’a qu’un seul et même but, l’éducation doit être nécessairement une et identique pour tous ses membres ; d’où il suit qu’elle doit être un objet de surveillance publique et non particulière, bien que ce dernier système ait généralement prévalu, et qu’aujourd’hui chacun instruise ses enfants chez soi par les méthodes et sur les objets qu’il lui plaît. Cependant, ce qui est commun doit s’apprendre en commun ; et c’est une grave erreur de croire que chaque citoyen est maître de lui-même ; ils appartiennent tous à l’État, puisqu’ils en sont tous des éléments, et que les soins donnés aux parties doivent concorder avec les soins donnés à l’ensemble.
A cet égard, on ne saurait trop louer les Lacédémoniens. L’éducation de leurs enfants est commune, et ils y attachent une importance extrême. Pour nous, il est de toute évidence que la loi doit régler l’éducation et que l’éducation doit être publique. Mais il est essentiel de connaître ce que doit être précisément cette éducation, et la méthode qu’il convient d’y suivre. En général, les avis différent aujourd’hui sur les objets qu’elle doit embrasser, et l’on est fort loin de s’entendre unanimement sur ce que les jeunes gens doivent apprendre pour arriver à la vertu et à la vie la meilleure. On ignore même s’il faut s’occuper davantage à former l’intelligence ou à former le cœur.
Le système actuel d’éducation contribue beaucoup à embarrasser la question. On ne sait nullement s’il faut ne diriger l’éducation que vers les choses d’utilité réelle, ou bien en faire une école de vertu ; [1337b] ou si elle doit aussi comprendre des objets de pur agrément. Ces différents systèmes ont trouvé des partisans ; et il n’y a encore rien de généralement accepté sur les moyens de rendre la jeunesse vertueuse. Mais comme les avis sont fort divers sur l’essence même de la vertu, on ne doit pas s’étonner qu’ils le soient également sur la manière de la mettre en pratique.

CHAPITRE 2

Un point incontestable, c’est que l’éducation, parmi les choses utiles, doit comprendre celles qui sont d’une absolue nécessité ; mais elle ne doit pas les comprendre toutes sans exception. Toutes les occupations pouvant se distinguer en libérales et en serviles, la jeunesse n’apprendra parmi les choses utiles que celles qui ne tendront point à faire des artisans de ceux qui les pratiquent. On appelle occupations d’artisans toutes les occupations, art ou science, qui sont complètement inutiles pour former le corps, l’âme ou l’esprit d’un homme libre aux actes et à la pratique de la vertu. On donne aussi le même nom à tous les métiers qui peuvent déformer le corps, et à tous les labeurs dont un salaire est le prix ; car ils ôtent à la pensée toute activité et toute élévation.
Bien qu’il n’y ait certainement rien de servile à étudier jusqu’à certain point les sciences libérales, vouloir les pousser trop loin, c’est s’exposer aux inconvénients que nous venons de signaler. La grande différence consiste ici dans l’intention qui détermine le travail ou l’étude. On peut, sans se dégrader, faire pour soi, pour ses amis, ou dans une intention vertueuse, telle chose qui faite ainsi n’est pas au-dessous d’un homme libre, mais qui, faite pour des étrangers, sent le mercenaire et l’esclave.
Les objets qu’embrasse l’éducation actuelle, je le répète, présentent en général ce double caractère, et servent peu à éclaircir la question.
Aujourd’hui l’éducation se compose ordinairement de quatre parties distinctes : les lettres, la gymnastique, la musique et parfois le dessin ; la première et la dernière, comme d’une utilité aussi positive que variée dans la vie entière ; la seconde, comme propre à former le courage. Quant à la musique, on élève des doutes sur son utilité. Ordinairement on la regarde comme un objet de simple agrément ; mais les anciens en avaient fait une partie nécessaire de l’éducation, persuadés que la nature elle-même, comme je l’ai dit si souvent, nous demande non pas seulement un louable emploi de notre activité, mais aussi un noble emploi de nos loisirs. La nature, pour le dire encore une fois ; la nature est le principe de tout.
Si le travail et le repos sont tous deux nécessaires, le dernier est sans contredit préférable ; mais il faut chercher avec grand soin à le remplir comme il convient. Ce ne sera certainement pas par des jeux ; car ce serait / faire du jeu, chose impossible, le but même de la vie. Le jeu est surtout utile au milieu des travaux. L’homme qui travaille a besoin de délassement, et le jeu n’a pas d’autre objet que de délasser. Le travail amène toujours la fatigue et la contention de nos facultés. Il faut donc savoir appeler à propos l’emploi des jeux comme un remède salutaire. Le mouvement que le jeu procure détend l’esprit, et le repose par le plaisir qu’il donne.
[1338a] Le repos aussi semble également nous assurer le plaisir, le bonheur, la félicité ; car ce sont laies biens, non pas de ceux qui travaillent, mais de ceux qui vivent dans le loisir. On ne travaille jamais que pour arriver à un but que l’on n’a pas encore atteint ; et, dans l’opinion de tous les hommes, le bonheur est précisément le but où l’on se repose, loin de tout souci, dans le sein du plaisir. Le plaisir, il est vrai, n’est pas uniforme pour tous ; chacun l’imagine à sa guise, et selon son tempérament. Plus l’individu est parfait, plus le bonheur qu’il rêve est pur et plus la source en est élevée. Ainsi, il faut avouer que pour passer dignement son loisir, on a besoin de connaissances et d’une éducation spéciales ; et que cette éducation, ces études doivent avoir pour but unique l’individu qui en jouit, de même que les études qui ont l’activité pour objet, doivent être considérées comme des nécessités, et n’avoir jamais en vue les étrangers.
Nos pères n’ont, donc point admis la musique dans l’éducation à titre de besoin, car elle n’en est pas un ; ils ne l’y ont \ point admise à titre de chose utile, comme la grammaire, qui est indispensable dans le commerce, dans l’économie domestique, dans l’étude des sciences et dans une foule d’occupations politiques ; non point comme le dessin, qui apprend à mieux juger des ouvrages d’art ; non point comme la gymnastique, qui donne la santé et la vigueur ; car la musique ne possède évidemment aucun de ces avantages. Ils y ont uniquement trouvé un digne emploi du loisir ; et voilà le but vers lequel ils ont essayé d’en diriger la pratique. Car si, selon eux, il est un délassement digne d’un homme libre, c’est la musique. Homère est du même avis, quand il fait dire à l’un de ses héros :
Convions au festin un chantre harmonieux ;
ou quand il dit de quelques autres de ses personnages, qu’ils appellent
Le chantre dont la voix saura tous les charmer ;
et ailleurs, Ulysse dit que le plus doux des plaisirs pour les hommes, quand ils se livrent à la joie,
C’est d’entendre, au festin où tous se sont rangés, Les accents du poète…

CHAPITRE 3

Ainsi, l’on doit reconnaître qu’il existe certaines choses qu’il faut enseigner aux enfants, non point comme choses utiles ou nécessaires, mais comme choses dignes d’occuper un homme libre, comme choses qui sont belles. N’existe-t-il qu’une science de cette sorte ? en est-il plusieurs ? quelles sont-elles ? comment doit-on les enseigner ? Voilà ce que nous examinerons plus tard. Tout ce que nous prétendons constater ici, c’est que l’opinion des anciens sur les objets essentiels de l’éducation, témoigne en faveur de la nôtre, et qu’ils pensaient absolument de la musique ce que nous en pensons nous-mêmes. Nous ajouterons encore que, si la jeunesse doit acquérir des connaissances utiles, telles que celle de la grammaire, ce n’est pas seulement à cause de l’utilité spéciale de ces connaissances, mais aussi parce qu’elles facilitent l’acquisition d’une foule d’autres.
On en peut dire autant du dessin. On apprend le dessin bien moins pour éviter les erreurs et les mécomptes dans les achats et les ventes de meubles et d’ustensiles, que pour se former une intelligence [1338b] plus exquise de la beauté des corps. D’ailleurs cette préoccupation exclusive des idées d’utilité ne convient ni aux âmes nobles, ni aux hommes libres.
On a démontré qu’on doit songer à former les habitudes avant la raison, le corps avant l’esprit ; il suit de là qu’il faut soumettre les enfants à l’art du pédotribe et à la gymnastique : à celui-là, pour assurer au corps une bonne constitution ; à celle-ci, pour lui procurer de l’adresse. Dans les gouvernements qui paraissent s’occuper tout particulièrement de l’éducation de la jeunesse, on cherche le plus souvent à former des athlètes ; et l’on nuit également à la grâce et à la croissance du corps. Les Spartiates, en évitant cette faute, en commettent une autre ; à force d’endurcir les enfants, ils les rendent féroces, sous prétexte de les rendre courageux. Mais, je le répète encore une fois, on ne doit point s’attacher exclusivement à un seul objet, et à celui-là moins qu’à tout autre. Si l’on ne songe qu’à développer le courage, on n’atteint même pas ce but. Le courage, dans les animaux non plus que dans les hommes, n’appartient pas aux plus sauvages ; il appartient, au contraire, à ceux qui réunissent la douceur et la magnanimité du lion.
Quelques peuplades des bords du Pont-Euxin, les Achéens, les Hénioques, ont l’habitude du meurtre et sont anthropophages. D’autres nations, plus avant dans les terres, ont des mœurs pareilles, quelquefois même plus horribles encore ; mais ce ne sont que des brigands ; ils n’ont pas de véritable courage. Nous voyons les Lacédémoniens eux-mêmes, qui durent d’abord leur supériorité à des habitudes d’exercices et de fatigues, surpassés aujourd’hui par bien d’autres peuples, à la gymnastique et même au combat ; c’est que leur supériorité reposait bien moins sur l’éducation de leur jeunesse que sur l’ignorance de leurs adversaires en gymnastique.
Il faut donc mettre au premier rang un courage généreux, et non point la férocité. Braver noblement le danger n’est le partage ni d’un loup, ni d’une bête fauve ; c’est le partage exclusif de l’homme courageux. En donnant trop d’importance à cette partie toute secondaire de l’éducation, et en négligeant les objets indispensables, vous ne faites de vos enfants que de véritables manœuvres ; vous n’avez voulu les rendre bons qu’à une seule occupation dans la société, et ils restent, même dans cette spécialité, inférieurs à bien d’autres, comme la raison le dit assez. C’est qu’il faut juger des choses, non sur les faits passés, mais sur les faits actuels ; on a aujourd’hui des rivaux aussi instruits qu’on peut l’être soi-même ; jadis on n’en avait pas.
On doit donc nous accorder, et que l’emploi de la gymnastique est nécessaire, et que les limites que nous lui posons sont les vraies. Jusqu’à l’adolescence, [1339a] les exercices doivent être légers ; et l’on repoussera une alimentation trop substantielle, et des travaux trop pénibles, de peur d’arrêter la croissance du corps. Le danger de ces fatigues prématurées est prouvé par un grave témoignage : c’est à peine si, dans les fastes d’Olympie, deux ou trois vainqueurs, couronnés dans leur enfance, ont plus tard remporté le prix dans l’âge mûr ; les exercices trop violents du premier âge leur avaient enlevé toute leur vigueur.
Trois années, au sortir de l’adolescence, seront donc consacrées à des études d’un autre genre ; et alors on pourra, convenablement, soumettre les années qui suivront aux rudes exercices et au régime le plus sévère. Ainsi, l’on évitera de fatiguer à la fois le corps et l’esprit, dont les travaux produisent, dans l’ordre naturel des choses, des effets tout contraires : les travaux du corps nuisent à l’esprit ; les travaux de l’esprit sont funestes au corps.

CHAPITRE 4

Nous avons déjà émis sur la musique quelques principes dictés par la raison ; nous croyons utile de reprendre cette discussion et de la pousser plus loin, afin de fournir quelques directions aux recherches ultérieures que d’autres pourront faire sur ce sujet. On est bien embarrassé de dire quelle en est la puissance, et quelle en est la véritable utilité. N’est-elle qu’un jeu ? N’est-elle qu’un délassement ? Tel que le sommeil, les plaisirs de la table, passe-temps peu nobles en eux-mêmes sans contredit, mais qui, comme l’a dit Euripide,
Nous plaisent aisément et charment nos soucis.
Doit-on mettre la musique au même niveau, et la prendre comme on prend du vin, comme on se laisse aller à l’ivresse, comme on se livre à la danse ? Il y a des gens qui n’en font pas une autre estime.
Mais bien plutôt, la musique n’est-elle pas aussi un des moyens d’arriver à la vertu ? Et ne peut-elle pas, de même que la gymnastique influe sur les corps, elle aussi influer sur les âmes, en les accoutumant à un plaisir noble et pur ? Enfin, en troisième lieu, avantage qu’il faut joindre à ces deux-là, en contribuant au délassement de l’intelligence, ne contribue-t-elle pas aussi à la perfectionner ?
On conviendra sans peine qu’il ne faut point faire un jeu de l’instruction qu’on donne aux enfants. [1339b] On ne s’instruit pas en badinant ; et l’étude est toujours pénible. Nous ajoutons que le loisir ne convient ni à l’enfance, ni aux années qui la suivent : le loisir est le terme d’une carrière ; et un être incomplet ne doit point s’arrêter.
Si l’on dit que l’étude de la musique, dans l’enfance, peut avoir pour but de préparer un jeu à l’âge viril, à l’âge mûr, à quoi bon acquérir personnellement ce talent, et ne pas s’en remettre pour son plaisir et son instruction, aux talents d’artistes spéciaux, comme le font les rois des Perses et des Mèdes ? Les hommes de pratique, qui se sont fait un art de ce travail, n’auront-ils pas toujours nécessairement une exécution bien plus parfaite, que des hommes qui n’y ont donné que le temps strictement indispensable pour le connaître ? Ou si chaque citoyen doit faire personnellement ces longues et pénibles études, pourquoi n’apprendrait-il pas aussi tous les secrets de la cuisine, éducation qui serait parfaitement absurde ?
La même objection n’a pas moins de force si l’on suppose que la musique forme les mœurs. Pourquoi, A même dans ce cas, l’apprendre personnellement ? Ne pourra-t-on pas également en jouir convenablement et en bien juger, en entendant les autres ? Les Spartiates ont adopté cette méthode, et sans avoir de science personnelle, ils peuvent, assure-t-on, juger fort bien du mérite de la musique, et décider si elle est bonne ou mauvaise. Même réponse, si l’on prétend que la musique est le vrai plaisir, le vrai délassement des hommes libres. A quoi bon la savoir soi-même, et ne pas jouir du talent d’autrui ?
N’est-ce pas même là l’idée que nous nous faisons des dieux ? Et les poètes nous ont-ils jamais montré Jupiter chantant et jouant de la lyre ? En un mot, il y a quelque chose de servile à se faire soi-même un artiste de ce genre en musique ; et un homme libre ne se permet cette licence que dans l’ivresse ou par plaisanterie.
Nous aurons peut-être à examiner plus tard la valeur de toutes ces objections.

CHAPITRE 5

En premier lieu, la musique doit-elle être comprise dans l’éducation, ou doit-on l’en exclure ? Et qu’est-elle réellement dans la triple attribution qu’on lui donne ? une science, un jeu, ou un simple passe-temps ? On peut hésiter entre ces trois caractères de la musique, car elle les présente également tous les trois. Le jeu n’a pour objet que de délasser ; mais il faut aussi que le délassement soit agréable ; car il doit être un remède aux soucis du travail. Il faut également qu’un passe-temps, tout honnête qu’il est, soit en outre agréable ; car le bonheur n’est qu’à ces deux conditions ; et la musique, tout le monde en convient, est un délicieux plaisir, isolée ou accompagnée du chant.
Musée l’a bien dit :

Le chant, vrai charme de la vie.

Aussi ne manque-t-on pas de la faire entrer dans toutes les réunions, dans tous les divertissements, comme une véritable jouissance. Ce motif-là suffirait donc à lui seul pour la faire admettre dans l’éducation. Tout ce qui procure des plaisirs innocents et purs peut concourir au but de la vie, et surtout peut être un moyen de délassement. Rarement l’homme atteint l’objet suprême de la vie ; mais il a souvent besoin de repos et de jeux ; et ne serait-ce que pour le simple plaisir qu’elle donne, ce serait encore tirer bon parti de la musique que de la prendre comme un délassement.
Les hommes font parfois du plaisir le but capital de leur vie ; le but suprême quand l’homme l’atteint, lui procure bien aussi, si l’on veut, du plaisir ; mais ce n’est pas le plaisir qu’on rencontre à chaque pas ; en cherchant l’un on s’arrête à l’autre, que l’on confond trop aisément avec ce qui doit être l’objet de tous nos efforts. Ce but essentiel de la vie ne doit pas être recherché pour les biens qu’il peut donner ; et comme lui, les plaisirs dont il s’agit ici sont recherchés, non point à cause des résultats qui les doivent suivre, mais seulement à cause de ce qui les a précédés, c’est-à-dire, du travail et des soucis. Voilà même sans doute pourquoi l’on pense trouver le véritable bonheur dans ces plaisirs, qui cependant ne le donnent pas.
Quant à cette opinion commune qui recommande la culture de la musique, non pas pour elle seule, mais comme un moyen fort utile de délassement, [1340a] on peut se demander, tout en l’approuvant, si la musique est véritablement si secondaire, et si l’on ne peut pas lui assigner un plus noble objet que ce vulgaire emploi.
Ne doit-on lui demander que ce plaisir banal qu’elle excite chez tous les hommes ? car on ne peut nier qu’elle ne provoque un plaisir tout physique, qui charme sans distinction tous les âges, tous les caractères. Ou bien ne doit-on pas rechercher encore si elle peut exercer quelque influence sur les cœurs, sur les âmes ? Il suffirait, pour en démontrer la puissance morale, de prouver qu’elle peut modifier nos sentiments.
Or certainement elle les modifie. Qu’on voie l’impression produite sur les auditeurs par les œuvres de tant de musiciens, surtout par celles d’Olympus. Qui nierait qu’elles enthousiasment les âmes ? Et qu’est-ce que l’enthousiasme, si ce n’est une émotion toute morale ? Il suffit même, pour renouveler les vives impressions que cette musique nous donne, de l’entendre répéter sans l’accompagnement ou sans les paroles.
La musique est donc une véritable jouissance ; et comme la vertu consiste précisément à savoir jouir, aimer, haïr comme le veut la raison, il s’ensuit que rien ne mérite mieux notre étude et nos soins que l’habitude de juger sainement des choses, et de placer notre plaisir dans des sensations honnêtes et des actions vertueuses ; or rien n’est plus puissant que le rythme et les chants de la musique, pour imiter aussi réellement que possible la colère, la bonté, le courage, la sagesse même et tous ces sentiments de l’âme, et aussi bien tous les sentiments opposés à ceux-là. Les faits suffisent à démontrer combien le seul récit de choses de ce genre peut changer les dispositions de l’âme ; et lorsqu’en face de simples imitations, on se laisse prendre à la douleur, à la joie, on est bien près de ressentir les mêmes affections en présence de la réalité. Si, à l’aspect d’un portrait, on est ému de plaisir, rien qu’à regarder la forme qu’on a sous les yeux, on sera certainement heureux de contempler la personne même dont l’image avait d’abord charmé.
Les autres sens, tels que le toucher et le goût, ne produisent en rien des impressions morales ; le sens de la vue les rend avec calme et par degrés, et les images qui sont l’objet de ce sens finissent peu à peu par agir sur les spectateurs qui les contemplent. Mais ce n’est pas là précisément une imitation des affections morales ; ce n’est que le signe revêtu de la forme et de la couleur qu’elles prennent, et s’arrêtant aux modifications toutes physiques qui révèlent la passion. Or, quelque importance qu’on attache à ces sensations de la vue, on ne conseillera jamais à la jeunesse de contempler les ouvrages de Pauson, tandis qu’on pourra lui recommander ceux de Polygnote, ou de tout autre peintre aussi moral que lui.
La musique, au contraire, est évidemment une imitation directe des sensations morales. Dès que la nature des harmonies vient à varier, les impressions des auditeurs changent avec chacune d’elles et les suivent. A une harmonie plaintive, [1340b] comme celle du mode appelé mixolydien, l’âme s’attriste et se resserre ; d’autres harmonies attendrissent le cœur, et celles-là sont les moins graves ; entre ces extrêmes, une autre harmonie procure surtout à l’âme un calme parfait, et c’est le mode dorien, qui semble seul donner cette impression ; le mode phrygien, au contraire, nous transporte d’enthousiasme.
Ces diverses qualités de l’harmonie ont été bien comprises par les philosophes qui ont traité de cette partie de l’éducation, et leur théorie ne s’appuie que sur le témoignage même des faits. Les rythmes ne varient pas moins que les modes : les uns calment l’âme, les autres la bouleversent ; et les allures de ces derniers peuvent être ou plus vulgaires ou de meilleur goût. Il est donc impossible, d’après tous ces faits, de ne pas reconnaître la puissance morale de la musique ; et puisque cette puissance est bien réelle, il faut nécessairement faire entrer aussi la musique dans l’éducation des enfants.
Cette étude même est en parfaite analogie avec les dispositions de cet âge, qui ne souffre jamais patiemment ce qui lui cause de l’ennui, et la musique par sa nature n’en apporte jamais. L’harmonie et le rythme semblent même des choses inhérentes à la nature humaine ; et des sages n’ont pas craint de soutenir que l’âme n’était qu’une harmonie, ou que tout an moins elle était harmonieuse.

CHAPITRE 6

Mais doit-on enseigner aux enfants à exécuter eux-mêmes la musique vocale et la musique instrumentale, ou doit-on s’en abstenir ? C’est là une question que nous avons posée plus haut, et nous y reviendrons ici. On ne peut nier que l’influence morale de la musique ne soit nécessairement très différente, selon qu’on exécute personnellement ou qu’on n’exécute pas ; car il est impossible, ou du moins fort difficile, d’être en ce genre bon juge des choses qu’on ne pratique pas soi-même. Il faut en outre à l’enfance une occupation manuelle. La crécelle même d’Archytas n’était pas mal inventée, puisqu’en occupant les mains des enfants, elle les empêchait de rien briser dans la maison ; car l’enfance ne peut se tenir un seul instant en repos. La crécelle est un jouet excellent pour le premier âge ; l’étude de la musique est la crécelle de l’âge qui suit ; et ne serait-ce que par ce motif, il nous semble évident qu’il faut enseigner aussi aux enfants à exécuter eux-mêmes la musique.
Il est facile d’ailleurs de déterminer jusqu’où cette étude doit s’étendre selon les différents âges, pour rester toujours convenable, et de repousser les objections qui prétendent que c’est là une occupation qui ne peut faire que de vulgaires virtuoses. D’abord, puisque, pour bien juger de cet art, il faut le pratiquer soi-même, j’en conclus qu’il faut que les enfants apprennent à exécuter. Plus tard, ils pourront renoncer à ce travail personnel ; mais alors ils seront en état d’apprécier les belles choses et d’en jouir comme il faut, grâce aux études de leur jeunesse.
Quant au reproche qu’on adresse parfois à l’exécution musicale, de réduire l’homme au rôle de simple artiste, il suffit, pour le réfuter, de préciser ce qu’il convient de demander, en fait de talent d’exécution musicale, à des hommes qu’on prétend former à la vertu politique, [1341a] quels chants et quels rythmes on doit leur apprendre, et quels instruments on doit leur faire étudier. Toutes ces distinctions sont fort importantes, puisque c’est en les faisant qu’on peut répondre à ce prétendu reproche ; car je ne nie point que certaine musique ne puisse entraîner les abus qu’on signale.
Il faut donc évidemment reconnaître que l’étude de la musique ne doit nuire en rien à la carrière ultérieure de ceux qui l’apprennent, et qu’elle ne doit point dégrader le corps, et le rendre incapable des fatigues de la guerre ou des occupations politiques ; enfin qu’elle ne doit empêcher ni la pratique actuelle des exercices du corps, ni, plus tard, l’acquisition des connaissances sérieuses. Pour que l’étude de la musique soit véritablement ce qu’elle doit être, on ne doit prétendre, ni à faire des élèves pour les concours solennels d’artistes, ni à enseigner aux enfants ces vains prodiges d’exécution qui de nos jours se sont introduits d’abord dans les concerts, et qui ont passé de là dans l’éducation commune. De ces finesses de l’art, on ne doit prendre que ce qu’il en faut pour sentir toute la beauté des rythmes et des chants, et avoir de la musique un sentiment plus complet que ce sentiment vulgaire qu’elle fait éprouver même à quelques espèces d’animaux, aussi bien qu’à la foule des esclaves et des enfants.
Les mêmes principes servent à régler le choix des instruments dans l’éducation. Il faut proscrire la flûte et les instruments qui ne sont qu’à l’usage des artistes, comme la cithare, et ceux qui s’en rapprochent ; il ne faut admettre que les instruments propres à former l’oreille et à développer généralement l’intelligence. La flûte, d’ailleurs, n’est pas un instrument moral ; elle n’est bonne qu’à exciter les passions, et l’on doit en limiter l’usage aux circonstances où l’on a pour but de corriger plutôt que d’instruire. Ajoutons qu’un autre des inconvénients de la flûte, sous le rapport de l’éducation, c’est d’empêcher la parole pendant qu’on l’étudié. Ce n’est donc pas à tort que, depuis longtemps, on y a renoncé pour les enfants et pour les hommes libres, bien que, dans l’origine, on la leur fît apprendre.
Dès que nos pères purent goûter les douceurs du loisir par suite de la prospérité, ils se livrèrent avec une magnanime ardeur à la vertu ; tout fiers de leurs exploits passés, et surtout de leurs succès depuis la guerre Médique, ils cultivèrent toutes les sciences avec plus de passion que de discernement, et ils élevèrent même Fart de la flûte à la dignité d’une science. On vit à Lacédémone un chorége donner, le ton au chœur en jouant lui-même de la flûte ; et ce goût devint si national à Athènes, qu’il n’était pas d’homme libre qui n’apprît cet art. C’est ce que prouve assez le tableau que Thrasippe consacra aux dieux, quand il fit les frais d’une des comédies d’Ecphantidès.
Mais l’expérience fit bientôt rejeter la flûte, quand on jugea mieux de ce qui peut, en musique, contribuer ou nuire à la vertu. On bannit aussi, plusieurs des anciens instruments, les pectis, les barbitons, et ceux qui n’excitent dans les auditeurs que des idées de volupté, les heptagones, les trigones et les sambuques, [1341b] et tous ceux qui exigent un trop long exercice de la main.
Une vieille tradition mythologique, qui est fort raisonnable, proscrit aussi la flûte, en nous apprenant que Minerve, qui Pavait inventée, ne tarda point à l’abandonner. On a encore spirituellement prétendu que le dépit de la déesse contre cet instrument venait de ce qu’il déformait le visage ; mais on peut croire aussi que Minerve rejetait l’étude de la flûte, parce qu’elle ne sert en rien à perfectionner l’intelligence ; car, de fait, Minerve est à nos yeux le symbole de la science et de l’art.

CHAPITRE 7

Nous repoussons donc, en fait d’instrument et d’exécution, ces études qui n’appartiennent qu’aux virtuoses ; et nous entendons par là celles qui ne sont destinées qu’aux concours solennels de musique. On ne s’y livre jamais dans le but de s’améliorer moralement soi-même ; on ne songe qu’au plaisir non moins grossier des futurs auditeurs. Aussi je n’en fais pas une occupation digne d’un homme libre ; c’est un travail de mercenaire, et il n’est propre qu’à faire des artistes de profession. Le but qu’en ceci l’artiste propose à tous ses efforts est mauvais ; il doit abaisser son œuvre à la portée de spectateurs dont souvent la grossièreté avilit ceux qui cherchent à leur plaire, et qui se dégradent même le corps par les mouvements qu’exigé le jeu de leur instrument.
Quant aux harmonies et aux rythmes, doit-on les faire entrer tous indistinctement dans l’éducation, ou doit-on en faire un choix ? N’admettrons-nous, comme font aujourd’hui ceux qui s’occupent de cette partie de l’enseignement, que deux éléments en musique, la mélopée et le rythme ? Ou bien en ajouterons-nous un troisième ? Il importe de connaître bien précisément la puissance de la mélopée et du rythme, sous le rapport de l’éducation. Que doit-on préférer, la perfection de l’une ou la perfection de l’autre ?
Comme toutes ces questions, à notre avis, ont été fort bien discutées par quelques musiciens de profession, et par quelques philosophes qui avaient pratiqué l’enseignement même de la musique, nous renvoyons aux détails très précis de leurs ouvrages tous ceux qui voudraient approfondir ce sujet ; et ne traitant ici de la musique qu’au point de vue du législateur, nous nous bornerons à quelques généralités fondamentales.
Nous admettons la division faite entre les chants par quelques philosophes ; et nous distinguerons comme eux le chant moral, le chant animé, le chant passionné. Dans la théorie de ces auteurs, chacun de ces chants répond à une harmonie spéciale qui lui est analogue. En partant de ces principes, nous pensons que l’on peut tirer de la musique plus d’un genre d’utilité ; elle peut servir à la fois à instruire l’esprit et à purifier l’âme. Nous disons ici, d’une manière toute générale, purifier l’âme ; mais nous reviendrons plus clairement sur ce sujet dans nos études sur la Poétique[1342a] En troisième lieu, la musique peut être employée comme délassement, et servir à détendre l’esprit et à le reposer de ses travaux. Il faudra faire évidemment un égal usage de toutes les harmonies, mais dans des buts divers pour chacune d’elles. Pour l’étude, on choisira les plus morales ; les plus animées et les plus passionnées seront réservées pour les concerts, où l’on entend de la musique sans en faire soi-même.
Ces impressions, que quelques âmes éprouvent si puissamment, sont senties par tous les hommes, bien qu’à des degrés divers ; tous, sans exception, sont portés par la musique à la pitié, à la crainte, à l’enthousiasme. Quelques personnes cèdent plus facilement que d’autres aces impressions ; et l’on peut voir comment, après avoir entendu une musique qui leur a bouleversé l’âme, elles se calment tout à coup en écoutant les chants sacrés ; c’est pour elles une sorte de guérison et de purification morale.
Ces brusques changements se passent nécessairement aussi dans les âmes qui se sont laissées aller, sous le charme de la musique, à la pitié, à la terreur, ou à toute autre passion. Chaque auditeur est remué selon que ces sensations ont plus ou moins agi sur lui ; mais tous bien certainement ont subi une sorte de purification, et se sentent allégés par le plaisir qu’ils ont éprouvé. C’est par le même motif que les chants qui purifient Pâme nous apportent une joie sans mélange ; aussi faut-il laisser les harmonies et les chants trop expressifs aux artistes qui exécutent la musique au théâtre.
Mais les auditeurs sont de deux espèces : les uns, hommes libres et éclairés ; les autres, artisans et mercenaires grossiers, qui ont également besoin de jeux et de spectacles pour se délasser de leurs fatigues. Comme dans ces natures inférieures, l’âme a été détournée de sa voie régulière, il leur faut des harmonies aussi dégradées qu’elles, et des chants d’une couleur fausse et d’une rudesse qui ne se détend jamais. Chacun ne trouve de plaisir que dans ce qui répond à sa nature ; et voilà pourquoi nous accordons aux artistes qui luttent entre eux le droit d’accommoder la musique qu’ils exécutent aux grossières oreilles qui la doivent entendre.
Mais dans l’éducation, je le répète, on n’admettra que les chants et les harmonies qui portent un caractère moral. Telle est, par exemple, avons-nous dit, l’harmonie dorienne. Il faut accueillir aussi toute autre harmonie que pourraient proposer ceux qui sont versés, soit dans la théorie philosophique, soit dans l’enseignement de la musique. Socrate a d’autant plus tort, dans la République de Platon, de n’admettre que le mode phrygien à côté du dorien, qu’il a proscrit l’étude de la flûte. Dans les harmonies, le mode phrygien est à peu près ce qu’est la flûte parmi les instruments ; [1342b] l’un et l’autre donnent également à l’âme des sensations impétueuses et passionnées.
La poésie elle-même le prouve bien ; dans les chants qu’elle consacre à Bacchus et dans toutes ses productions analogues, elle exige avant tout l’accompagnement de la flûte. C’est particulièrement dans les chants phrygiens que ce genre de poésie trouve à se satisfaire ; par exemple, le dithyrambe, dont personne ne conteste la nature toute phrygienne. Les gens éclairés dans ces matières en citent bien des exemples, entre autres celui de Philoxène, qui, après avoir essayé de composer son dithyrambe, les Fables, sur le mode dorien, fut obligé, par la nature même de son poème, de retomber dans le mode phrygien, qui seul y pouvait convenir.
Quant à l’harmonie dorienne, chacun convient qu’elle a plus de gravité que toutes les autres, et que le ton en est plus mâle et plus moral. Partisan déclaré, comme nous le sommes, du principe qui cherche toujours le milieu entre les extrêmes, nous soutiendrons que l’harmonie dorienne, à laquelle nous accordons ce caractère parmi toutes les autres harmonies, doit évidemment être enseignée de préférence à la jeunesse. Deux choses sont ici à considérer, le possible et le convenable ; car le possible et le convenable sont les principes qui doivent surtout guider tous les hommes ; mais c’est l’âge seul des individus qui peut déterminer l’un et l’autre. Aux hommes fatigués par l’âge, Userait bien difficile de moduler des chants vigoureusement soutenus, et la nature elle-même leur inspire plutôt des modulations molles et douces.
Aussi quelques-uns des auteurs, qui se sont occupés de la musique, ont-ils encore avec raison reproché à Socrate d’avoir banni de l’éducation les molles harmonies, sous prétexte qu’elles ne convenaient qu’à l’ivresse. Socrate a eu tort de croire qu’elles se rapportaient à l’ivresse, dont le caractère est une sorte de frénésie, tandis que celui de ces chants n’est que de la faiblesse. Il est bon, pour l’époque où l’on atteindra l’âge de la vieillesse, d’étudier les harmonies et les chants de cette espèce ; je crois même qu’on pourrait, parmi eux, en trouver un qui conviendrait aussi fort bien à l’enfance, et qui réunirait à la fois la décence et l’instruction ; tel serait, à notre avis, le mode lydien, de préférence à tout autre. 
Ainsi, en fait d’éducation musicale, trois choses sont essentiellement requises : c’est d’abord d’éviter tout excès ; c’est ensuite de faire ce qui est possible ; et enfin, ce qui est convenable.

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* Extraído de AristoteLa Politiquenouvelle édition pour Internet par Sœur Pascale Nau, op, basée sur la 3e édition de J. Barthélemy-Saint-Hilaire (1874). Em Les œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin (http://docteurangelique.free.fr).